( Voici la suite de l'article précédent, nous sommes le dimanche 12 février 2017 vers 13h15)
Je repris le RER à la station Luxembourg, pour me rendre à la Comédie Française, où j'avais
réservé une place pour "La Règle du Jeu", une adaptation du film de Jean Renoir.
J'aime beaucoup Jean Renoir, et avais déjà tenté de réserver une place la semaine précédente,
mais le théâtre était déjà plein. Ce fut pareil le 12 février. J'étais à la corbeille. Quand nous
sommes arrivés, un grand écran blanc était déployé sur la scène, comme on voit ci-dessous:
J'ai souhaité avant de commenter ce spectacle, me donner le temps de revoir le film de Jean Renoir
dont il est une adaptation. Renoir présenta la Règle du Jeu au public en 1939. Ce film, qui fut considéré
par la Nouvelle Vague comme "le Film des films" (François Truffaut), à partir des années 60, connut un
succès mitigé à sa sortie en France en 1939. Il peignait une tragédie gaie dans le milieu de la grande
bourgeoisie, illustrant ses échanges de partenaires, ses vices, ses cruautés, sa légèreté. Tout ceci
enrobé dans la gaieté de bon vivant de Renoir, qui jouait dans le film le rôle d'Octave, l'ami de chacun.
Le film, localisé d'une part à Paris, d'autre part dans un manoir de Sologne, retraçait avec acuité l'état
d'esprit ambiant à la veille de la seconde guerre mondiale, l'insouciance, allant jusqu'au meurtre.
Je ne saurais trop conseiller aux spectateurs de l'adaptation donnée à la Comédie Française de revoir
le film de Jean Renoir avant de voir le spectacle, sous peine de ne pas tout comprendre. On le trouve
en vidéo sur internet, à louer, ou encore mieux en projection individuelle au Forum des images, forum des Halles.
Après avoir revu ce film qui est considéré comme le chef d'oeuvre de Renoir et l'un des meilleurs
films qui existent, voici mes commentaires sur le spectacle.Il commençait par un film tourné à la
Comédie Française, place Colette (mise en abyme), une joyeuse bande donnait une fête, et se filmait
dans la fête. Les fêtards reprenaient le texte du scénario du film de Renoir, transposé à la Comédie
Française, qui devenait la maison bourgeoise où l'on accueillait un sportif venant de réussir un exploit,
un héros dont l'unique commentaire fut le regret de l'absence de la femme qui l'y avait poussé.
Les invités, très nombreux, ce qui ne facilitait pas l'identification des personnages, se cherchaient
des costumes pour la fête. Tous les placards de la Comédie Française y passaient, et il y eut quelques
truculences vestimentaires... Les dames devenaient des lapins, costume de type Bridget Jones aidant,
mais avec une ambiance qui vira au Blair Witch du plus bel effet. Gros plans, puis énormes plans de
visages terrifiés dans le noir, courses aux lapins dans les couloirs sombres... Puis les lapins apparurent
dans la salle avec leurs poursuivants, et nous fîmes partie du film... Enfin l'écran remonta et une partie
des comédiens que nous avions vus à l'écran montèrent sur scène, chantant du Charles Aznavour,
et du Dalida, faisant la fête armés de champagne. Attention, c'est un spectacle participatif: je me suis
retrouvée à chanter "Parrroles et parrroles et, parrroles, encore des parrroles..."et à agiter les bras, voir ci-dessous!
La version scénique, réalisation, mise en scène du spectacle est de Christiane Jatahny. Il fallait oser!
Renoir disait que son film était un film de guerre. L'auteure de l'adaptation semble souscrire à cette
opinion,tant les scènes de poursuite des jeunes femmes déguisées en lapins sont filmées de manière
terrifiante (dans le film de Renoir, il y a un vrai carnage de lapins, avec la scène culte de l'agonie du lapin,
que Jatahny reprend très bien en filmant l'une des comédiennes en très gros plan, rimmel coulant et oeil
terrifié... couic!) C'est avant Dalida... L'un des acteurs, complètement décalé, nous a beaucoup amusés
par ses costumes extravagants mais aussi parce qu'il chantait très bien je rajouterai son nom quand j'en
serai sûre. Le couple vedette qui se trompe mutuellement était joué par Suliane Brahim dans le rôle de
Christine, et Jérémy Lopez, dans celui de Robert, le bourgeois qui invite, et filme tout le monde.
Ces deux acteurs interprétaient le duo Roméo et Juliette de Shakespeare l'an dernier, il s'agit je suppose
d'un clin d'oeil, à moins que ce soit l'illustration de la dégradation des moeurs contemporaines! Une séquence
moins fun mais terriblement d'actualité fut la surveillance des spectateurs par drone, qui correspond
à la lorgnette utilisée dans le film de Renoir par Christine, qui lui révèle la liaison de son époux avec
Geneviève. Le spectacle se termine par une séquence filmée, qui après l'interlude aviné et musical
est extrêmement brutale. Le garde-chasse Schumacher abat par méprise le héros sportif du jour qui
reste tout sanglant sur une place Colette désertée, filmé par le drone qui s'éloigne de la scène du crime,
ainsi que les acteurs, témoins, Robert ayant déclaré qu'il s'agissait d'un accident. Clap de fin.
Le choix d'alterner le film et la scène est discutable. Le film amplifie, de par la taille des images, et du
pouvoir de scruter les visages dont il dispose, les effets émotionnels. La caméra à l'épaule utilisée,
en l'occurrence, procure un mouvement incessant doublé par celui des acteurs. Le spectateur se
retrouve pris dans un tourbillon d'images dont il ne comprend la teneur que très superficiellement, et
surtout le rôle de chacun dans le drame. La mise en abyme du film qui se passe dans le théâtre dans
lequel les spectateurs viennent de prendre place accentue la perte de repères. Lorsque une partie
des acteurs vus dans la première partie filmée vient sur scène, il y a une sorte d'affadissement du
propos, du fait de la prise de distance soudaine créée par la distance aux corps des acteurs.
La deuxième partie filmée rend au drame son déroulement fatal,et la scène finale du meurtre, du déni,
et du drone qui filme la place Colette de plus en plus haut est remarquable, cinématographiquement
parlant. Dans ce spectacle, si l'unité de lieu est plus ou moins respectée, c'est la mixité des moyens
qui provoque une rupture: les parties filmées ont beaucoup plus de force et de violence que la partie
jouée sur scène, c'est surprenant pour la Comédie Française, et je me suis demandé
la raison de ce choix. Si vous avez la réponse... merci de m'en faire part. J'ai aimé!
Le spectacle se termina vers 15h45, et je sautai dans le métro
pour rejoindre l'Ile Saint-Louis, via la station Pont-Marie.
Sylvie, blogmestre
(La suite du 12 février 2017 est dans l'article suivant)