Comme les lecteurs de ce blog ont pu s’en rendre compte, j’ai traversé une période assez difficile,
avec peu de sorties. Hier soir, profitant d’une amélioration, je suis allée à la Philharmonie où le Royal
Concertgebouw d’Amsterdam, dirigé par Daniele Gatti, donnait un concert. A l’arrivée au Parc de la Villette,
je constatai que de charmantes jardinières opéraient une tonte de la pelouse.
(eu égard à la topographie plane du lieu, sans fossés ni douves comme aux Tuileries ou aux Invalides, qui
utilisent aussi les services gloutons de petits quadrupèdes affectés aux pelouses, les biquettes de la Villette
étaient dans un enclos grillagé, pour éviter sans doute qu’elles aillent vadrouiller dans une salle de
concert ou au Conservatoire, voire dans le métro ou le tram, ce qui ferait un peu désordre!)
J’avais acheté un billet d’occasion, au 2è balcon, pour la place E130, et finalement me suis
installée sur la même rangée à la place E120, restée vide, qui offrait une meilleure vue sur l’orchestre.
Le concert comportait en première partie l’ouverture d’Euryanthe de Weber, et le 3è concerto pour
piano de Prokofiev, interprété par un jeune pianiste russe, Daniil Trifonov, et en deuxième partie la
première symphonie de Mahler, dite “Titan”. J’étais enchantée de retrouver le maestro Gatti, dont
j’avais beaucoup apprécié les concerts avec l’Orchestre national de France la dernière année où il
dirigea cette formation d’excellence. L’orchestre qu’il dirige actuellement est aussi une formation
d’excellence. Le concert débuta par un geste de générosité: le Royal Concertgebouw est actuellement
en tournée à travers les 28 pays européens pour une transmission d’héritage culturel commun, et à
chacun de ses concerts, invite de jeunes musiciens locaux à participerà une oeuvre en ouverture,
parmi les musiens chevronnés. L’ouverture d’Euryanthe fut interprétée hier soir par le RCO
et par de jeunes musiciens du Pôle supérieur d’enseignement artistique de Boulogne-Billancourt.
Carl Maria von Weber composa plusieurs opéras, dont Euryanthe, créé à Vienne en 1823. Il s’agit
d’un “opéra à sauvetage”, dont l’héroïne (Euryanthe) est injustement accusée d’infidélité, et sera
sauvée, avec mort des traîtres accusateurs… L’ouverture dure 8 minutes, elle fut composée en dernier
(comme une introduction de dissertation), et reprend les thèmes exposés dans l’opéra (id.). Les jeunes
musiciens invités s’intégrèrent très bien à l’orchestre hautement professionnel, puis s’installèrent
aux premiers rangs du parterre, réservés pour eux. On les voit sur la photo ci-dessous,
du jeune pianiste virtuose qui interpréta le concerto de Prokofiev qui suivit.
Le troisième concerto pour piano et orchestre de Prokofiev fut composé principalement à
Saint-Brévin, en Vendée, et créé à Chicago en 1921. Le pianiste, lui, venait de Nijni-Novgorod,
et tous deux étaient russes. Prokofiev avait composé ce concerto, le plus populaire de son oeuvre,
pour briller en qualité de pianiste virtuose. Ce fut une réussite hier soir, le jeune interprète fut acclamé,
bissé deux fois, et revint saluer sans se lasser tant que nous le souhaitions… et joua un bis, puis
un ter, et reçut un bouquet de fleurs avec lequel il repartit. Prokofiev était pour moi le compositeur
le plus insolite de ce concert (beaucoup de musiques du XXè siècle me font cet effet),
mais j’ai aimé le concerto, quoique ce soit une écriture musicale que je mémorise difficilement.
Après l’entracte, vint le moment que nous attendions tous: la symphonie “Titan”! Elle figure déjà dans
ce blog, et probablement plusieurs fois (je me souviens notamment d’une répétition d’orchestre à la Maison de la
Radio avec Mikko Franck, pour la Fête de la Musique 2016). Mahler écrivit cette oeuvre dans une grande
urgence compositrice, il portait tout en lui, et il fallait que cela sorte pour qu’il se sente apaisé. Hélas,
trop moderne lors de sa conception, l’oeuvre ne put être créée en Allemagne. Il la créa à Budapest,
où il avait été nommé aux fonctions de directeur de l’opéra royal, rencontrant l’incompréhension du
public et des critiques particulièrement virulentes: “musique ridicule”, “bois qui piaillent”, “pas trace
de génie”, “absence de goût monstrueuse”… (Truffaut disait en substance “si tu travailles bien ton violon,
tu seras artiste, sinon, tu seras critique d’art”) Le pauvre Mahler, mortifié, réécrivit une partie de
l’oeuvre, qui finit par s’imposer et devenir la plus connue de ses symphonies. En entendant la version
mineure de “Frère Jacques” du 3è mouvement, probablement plus sensible pour des auditeurs français qui l’ont
vécue comme comptine, je me souvins soudain que la comptine est aussi apprise aux enfants, en français, dans
les écoles néerlandaises (du moins elle l’était pour ma génération), et que, aux musiciens qui l’interprétaient hier soir,
elle devait aussi rappeler ...des souvenirs enfantins. Ci-dessous, une interprétation hongroise
du 3è mouvement par un orchestre de Budapest (la revanche, Gustav!)
L’interprétation du Royal Concertgebouw d'Amsterdam fut superbe, et l’enthousiasme du public
assorti. Ci-dessous Daniele Gatti partageant son bouquet de fleurs entre ses musiciennes…
Je suis partie alors que la salle bissait bruyamment, car il était plus de 23h10, et les RER se raréfient
en soirée, surtout avec un début de grève. Ce fut un très grand plaisir de revoir Daniele Gatti
diriger (les choristes sont fascinés par les chefs, c’est bien connu!) (et encore plus par les chefs exceptionnels)
Sylvie, blogmestre