J'ai entendu hier soir à la Philharmonie l'opéra Léonore de Ludwig van Beethoven.
Je ne connaissais jusque là que Fidélio, mais Léonore l'avait précédé...
L'opéra en concert était interprété par l'orchestre baroque de Freiburg (im Brisgau),
et l'Académie de chant de Zürich, placés sous la direction de René Jacobs, voici les solistes:
Un peu à la manière dont Cézanne peignait la montagne Sainte-Victoire avec persistance,
Beethoven a passé douze ans sur le même opéra. Mais est-ce tout-à-fait le même? Non, bien sûr,
il a évolué avec son auteur. Commencé dans l'enthousiasme en 1803, l'opéra "Léonore" est créé
en 1805. Il n'est donné que deux fois, car il coïncide avec l'occupation napoléonienne de l'Autriche.
Beethoven le remanie, et une deuxième version, toujours nommée "Léonore" sort en 1806.
Puis une troisième version, la dernière, la plus connue, sort en 1815 sous le nom de "Fidelio".
La rangée F dans laquelle j'avais une place étant lacunaire, je me suis replacée à la place 72 pour la première
partie de l'opéra, puis à la place 70, libérée à l'entracte. Ci-dessus, la salle vue de la place F72.
Ci-dessus voici le choeur et l'orchestre, et le chef, à la fin de la première partie, qui comportait
les actes I et II, l'opéra original de 1805, présenté hier soir, étant en trois actes.
Le thème de l'histoire est le suivant: dans une prison andalouse, une jeune femme, Léonore,
se fait embaucher par le gardien de la prison, Rocco, en se faisant passer pour un jeune homme,
Fidelio. Rocco a une fille, Marzelline, qui tombe amoureuse de Fidelio. Mais celui-ci (celle-ci)
n'est là que pour sauver son mari, Florestan, qui est emprisonné injustement depuis
deux ans dans une cave. Un coup de théâtre sauve Florestan de la mort, et il retrouve Léonore.
Marzelline se console avec son soupirant Jaquino, et le tortionnaire Pizarro est châtié.
Cette oeuvre est un "sing-spiel", comme en écrivait Mozart, c'est-à-dire que les chanteurs
parlent et chantent. Les parties instrumentales comportent des passages très beethoveniens,
des signatures musicologiques. En revanche, les passages chantés m'ont vraiment évoqué Mozart,
les duos, trios, quatuors chantés par des solistes dispersés aux coins de la scène, les choeurs
masculins ou féminins, ou l'ensemble mixte, avec de très belles prestations vocales, mais encore
dans un registre vocal accessible (et non dans les prouesses aiguës de la 9è symphonie), favorisé par la
tonalité des instruments baroques. Le livret entre dans la catégorie des "pièces à sauvetage",
à la mode après la Révolution française: un personnage est injustement emprisonné et délivré
in-extremis alors qu'on s'apprêtait à l'exécuter. Ici Florestan est délivré par un ministre ex-machina,
qui passait par là. L'intrigue est ce qu'elle est... l'émotion de la situation, la fidélité de l'épouse,
et sa transgression sociale sont les ressorts qu'utilise le compositeur pour écrire sa musique.
Une question que je poserais volontiers à un psychologue, est: que révèle cette fixation de l'auteur
sur le changement d'identité de son héroïne? (au point de changer jusqu'au nom de l'opéra, in fine).
René Jacobs dit que cette version de 1805 est la plus réussie des trois composées.
Voici les solistes et René Jacobs, devant l'orchestre. C'était un superbe opéra, qui a été très
applaudi, et aurait mérité une salle pleine. Il a été enregistré pour la radio (ou pour un disque).
L'orchestre Freiburger Barockorchester a trente ans, et la Zürcher Sing-Akademie en a six.
Ces deux ensembles nous ont montré hier soir toute leur virtuosité. René Jacobs a été contre-ténor,
il vient de Gand en Belgique (comme Philippe Herreweghe), et sa direction de l'oeuvre était
brillante, ce fut un grand bonheur d'écoute. Il a enregistré une Passion selon Saint-Matthieu qui
serait une version de référence, et ses opéras de Mozart sont réputés remarquables.
Ci-dessus, René Jacobs, Léonore (Marlis Petersen, très belle voix de soprano coloratur)
et Florestan. Nous sommes ressortis de la Philharmonie vers 22h45.
Sylvie, blogmestre