J'ai vu hier soir au cinéma La Pléiade de Cachan le dernier film d'Emmanuelle Bercot, inspiré du
combat d'Irène Frachon, pneumologue au CHU de Brest, et de quelques autres personnes de
courage, pour dénoncer la toxicité du Médiator, et faire retirer ce médicament du commerce, en 2009.
J'arrive deux minutes après le début du film et m'assieds en silence dans le noir. A l'écran, dans le
bloc opératoire d'un hôpital, un thorax humain ouvert montre un coeur qui bat de moins en moins. Le
chirurgien sort un petit morceau cartilagineux, c'est une valve cardiaque épaissie, qui n'assure plus sa
fonction de porte étanche entre le ventricule et l'oreillette du coeur, et laisse circuler le sang en continu.
Cette observation, répétée, a attiré l'attention d'une pneumologue exerçant dans un hôpital breton, tout
au bout du Finistère, à Brest. Elle semble corrélée à la prise d'un médicament anti-diabétique qui a aussi
été prescrit hors AMM comme coupe-faim à des personnes en surpoids. Un médicament qui est sur
le marché depuis 30 ans, doté d'une autorisation de mise sur le marché pour traiter le diabète, mais
pas pour faire maigrir. On estime ainsi qu'un tiers des patients traités par Médiator, pour surpoids, ont échappé
à la surveillance de la pharmacovigilance. Le benfluorex, molécule du Médiator, est un amphétaminique anorexigène
(qui coupe l'appétit), libérant dans le corps de la norfenfluramine, appartenant à la famille des fenfluramines. Or, en
1997, une autre fenfluramine, l'Isoméride, a été reconnue responsable de valvulopathies cardiaques aux USA et
retirée de la vente, ainsi que dans les pays européens, France comprise. Les soupçons qui pèsent sur le Médiator
reposent donc sur un précédent scientifique connu. Cependant, sa prescription et sa vente persistent en France.
Irène Frachon, ci-dessus, interprétée dans le film par Sidse Babett Knudsen, la plus française des actrices danoises,
ou l'inverse, recrute des confrères pour se lancer dans une recherche, elle-même n'étant pas chercheur,
ni cardiologue. L'équipe d'épidémiologie du CHU de Brest se met au travail, recense les patients
souffrants de valvulopathies de cause inconnue, qui auraient pris du Médiator, et trouve une effarante
corrélation de 70% des cas... Un premier passage devant l'Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire
des produits de santé) se solde par un échec, mais suscite des sympathies. Le milieu des autorités
de santé est décrit avec minutie. On ne manque pas de railler cet hôpital breton qui veut faire entendre
un scandale de santé publique qui aurait échappé aux pontes parisiens... A chaque avancée de l'hôpital
breton, une musique de cornemuse se fait entendre, comme un petit cri de victoire. L'épidémiologue
qui a mené et publié la recherche, interprété par Benoît Magimel, est suspendu par l'Institut national
de la recherche médicale (INSERM), et part au Canada... La patiente opérée du coeur meurt...
Irène Frachon écrit un livre "Médiator, combien de morts?", dont le titre est censuré, et l'envoie tous
azimuts. Les médias se réveillent enfin, et le ministère de la santé propose, il était temps, de faire
quelque chose! En l'occurrence, Xavier Bertrand, ministre de la santé de l'époque, propose une
indemnisation aux patients concernés, contre le retrait de leur action en justice. Il y eut à l'époque un tollé
des tenants de l'action en justice (qui n'a pas encore abouti, selon le film), qui m'avait fait réagir sur les forums:
dans l'urgence on indemnise les victimes (lire le commentaire de l'article en lien en bas de page) d'abord, on
juge après. Mais on juge aussi. Irène Frachon, dont la vie est devenue un polar, a réussi à crever l'abcès.
Très bon film, bien joué, très bien documenté, tourné in-situ au CHU de Brest. C'est un drame,
une tragédie, ce que les saillies et le grand sourire de l'actrice principale, lumineuse comme d'habitude, ne laissent
peut-être pas entrevoir sur la bande-annonce. Il y aurait eu, pour répondre à la question du titre du livre
de la pneumologue, 500 à 1000 morts par valvulopathies du fait de ce médicament, qui aurait dû être retiré
de la vente dès que l'on a retiré l'Isoméride du marché, en 1997. Le Médiator a été retiré du marché en 2009.
Je crois que c'est un film à voir, pour comprendre comment fonctionne la surveillance du système de
sécurité des médicaments, et combien il est difficile de soulever une toxicité inconnue. N'importe qui
peut-être victime d'un traitement lors d'une situation de fragilité physique (ça m'est arrivé il y a 23 ans,
j'ai été conspuée, mais jamais indemnisée). Il est crucial que des témoins puissent signaler ce qu'ils ont
observé, et que ces observations soient prises en compte. Bravo aux Brestois pour leur courage!
Sylvie, blogmestre